— Il faut pas un peu de sous pour créer une maison d’édition ?
— Nous allons casser nos tirelires…
— Ça suffira ?
Tout compte fait, Anne-Sophie et Gilles comprennent que ce serait un peu court.
— Une banque nous prêtera le petit bout qui manque.
Et voilà les deux entrepreneurs en herbe partis pour rencontrer un banquier, et pas n’importe lequel : celui chez qui ils ont tous les deux leurs comptes depuis des années, des comptes qui n’ont jamais été à découvert, notés +++ par la banque.

— Une quoi ?
— Une maison d’édition…
— Nous pouvons vous prêter de l’argent pour acheter un pas-de-porte, des ordinateurs, un photocopieur.
— Comme nous sommes prudents, nous allons commencer sans locaux. À domicile… Cela nous évitera trop de frais fixes. Et bonne nouvelle, nous possédons chacun un ordinateur en parfait état de marche. Pour les photocopies, il y a la boutique au coin de la rue. Une maison d’édition a plutôt besoin d’investir dans des achats de droits, des avances que l’on verse aux auteurs et aux traducteurs.
— Ah… euh… eh bien… Ce n’est pas très tangible tout cela.
— Ah bon ? C’est de la propriété intellectuelle !
— Oui, bien sûr, mais, comment dire… En cas d’insuccès, cela ne peut pas être saisi.

Ce jour-là, Anne-Sophie et Gilles sont donc repartis bredouille. Quelques semaines plus tard, ils ont décroché un prêt à taux zéro de Paris initiative entreprise, organisme également disposé à garantir 75 % d’un prêt auprès d’une banque privée.
Alors Anne-Sophie et Gilles sont retournés trouver leur banquier et là, ô miracle, ces investissements très intangibles, ces élucubrations d’auteurs obscurs et ces heures passées par des traducteurs à s’échiner sur des textes en hébreu, en yiddish, en anglais ou dans toutes les langues de Babel, étaient devenus… des plus tangibles.

La même année, la banque de l’Antilope a perdu quelques milliards d’euros dans des opérations boursières pour le moins… intangibles. Olé !

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